Né à Butembo en 1974, Mathe Kisughu, dit Charly Mathekis, incarne cette génération d’écrivains congolais qui portent dans leur plume les échos d’une mémoire collective et les blessures d’une région marquée par les conflits. Enseignant, dramaturge et auteur, il a construit une œuvre où l’intime rencontre l’histoire et où le théâtre rejoint la littérature comme espace de résistance et de transmission.
Son enfance à Butembo, bercée par les contes, les chants et les jeux traditionnels, a été le premier terreau de son imaginaire. « Nombreux jeux d’enfance, chez nous, sont théâtralisés, avec chacun un rôle à jouer. Ils sont accompagnés souvent de chants et donnent le goût de vivre », se souvient-il. Très tôt, il découvre la force des mots et de la mise en scène, avant de s’impliquer dans le théâtre scolaire et d’animer ses premières troupes dans les années 1990.
Mais c’est la guerre dite de Libération, en 1997, qui marque un tournant dans son écriture. Enseignant à Kyondo, il est témoin direct des violences, des déplacements et de la peur qui s’installent dans le Nord-Kivu. De ces expériences douloureuses naissent les textes qui trouveront leur pleine expression dans ses publications aux Éditions du Pangolin.
En 2017 paraît Les Chroniques du Graben, un recueil qui rassemble des récits écrits depuis le début des années 2000. Ces textes, à la frontière entre mémoire familiale, fiction et chronique sociale, offrent une plongée dans la vie quotidienne d’un peuple qui survit entre conflits et espoirs. « Le premier texte est un hommage à mon grand-père qui m’a raconté presque in extenso les aventures de Tseme-Misonia », confie-t-il. La mémoire orale y devient littérature, transformant des histoires intimes en un patrimoine collectif.
L’année suivante, en 2018, Mathe Kisughu poursuit cette veine avec Du Sang sur les neiges du Ruwenzori. Dans cet ouvrage, il mêle encore une fois la réalité brutale des guerres à une écriture où se déploie toute la force de l’imaginaire. Ces deux livres publiés aux Éditions du Pangolin constituent un diptyque essentiel pour comprendre non seulement l’œuvre de l’auteur, mais aussi le rôle de la littérature dans une région trop souvent réduite à ses drames. Ils donnent voix aux sans-voix, transforment l’expérience collective en matière littéraire, et s’imposent comme une mémoire vivante du Graben.
Au-delà de ces publications phares, l’auteur continue d’explorer d’autres formes et d’autres scènes. Ses pièces radiophoniques et ses interventions théâtrales en français, en swahili et en kinande témoignent de son engagement à mettre l’art au service de l’éducation, de la prévention et de la paix. Mais ses œuvres éditées au Pangolin demeurent le socle sur lequel repose sa reconnaissance littéraire.
« Il devient écrivain et animateur culturel en comblant un vide, en composant un texte qui s’inspire de ce qu’il voit, de ce qu’il ressent, pour partager ses joies et ses peines, pour inspirer les autres l’amour de la Nature et du Bien », explique-t-il. À travers Les Chroniques du Graben et Du Sang sur les neiges du Ruwenzori, Mathe Kisughu n’a pas seulement témoigné d’une époque : il a inscrit la voix du Nord-Kivu dans le patrimoine littéraire congolais contemporain.
Avec lui, la littérature devient à la fois mémoire et espérance, un espace où la douleur se transforme en récit, et où l’écriture résiste à l’oubli. Les Éditions du Pangolin, en publiant ses œuvres, ont permis à cette voix de franchir les frontières et de rappeler que l’Est du Congo n’est pas seulement une terre de conflits, mais aussi un foyer de création et de pensée


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